(je) est un corps

Aurèle Nourrisson2018

« (je) est un corps qui fait être le monde de cette manière-là. » Jean-Luc Nancy, Le corps du philosophe, un film de Marc Grün.

Dans cette scène, on voit Jean-Luc Nancy nager dans des algues et avancer très lentement dans l’eau à grand frais d’efforts bizarres. Le montage est assez chelou, l’image aussi, ça n’a pas l’air sérieux et pourtant ça redéfinit une certaine forme de la philosophie de l’être et du sujet. En écrivant ce texte sur Florent, j’ai pensé à cette scène et je me suis dit qu’il y avait aussi quelque chose de son travail d’artiste dans la sensation que ça peut produire dans la tête...

La céramique est toujours une histoire de caverne. Seules les cavernes changent. Florent Dubois pratique un art hybride, un art qu’on pourrait dire en « pointe naïve ». Dans la taille du diamant, un diamant est dit en pointe naïve quand naturellement et sans taille il offre une forme pyramidale. Le travail de Florent Dubois a quelque chose de cela. Une histoire de caverne, une histoire d’art naturellement « taillé ».

Des formes étranges et bizarres, toujours assez pop et colorées, des dessins, de la peinture, des céramiques. La caverne a changé, errance internet et visite approfondie d’Ebay section poterie, une histoire de génération qui a grandi entre Sailor Moon, Pokémon, l’arrivée d’Internet et bientôt d’Amazon. En d’autres termes l’hybridité des formes dans un maintenant de l’art ou l’art de la caverne à l’heure de Pokémon Go. Quelque chose est là comme quelque chose d’un paysage, une manière de voir et de regarder, une manière d’assembler et de ne plus fragmenter. Une pratique de la vie et de l’art confondue dans des objets technologiques de notre âge. Qui de la musique, de l’histoire de l’art, d’Internet, du streaming, de YouTube, ou d’Instagram inspire ou non, là n’est plus vraiment la question. La caverne dans laquelle se crée ce travail procède de manière imperceptible, insospettabile, indétectable, avec comme simple matériau un maintenant bizarre, tout aussi abstrait que figuratif, tout aussi réel que virtuel. Ingérer, digérer, sans savoir quand ça commence et quand ça s’arrête.

Quand on voit une céramique de Florent Dubois on voit quelque chose qui déborde. L’apparence est souvent « mignonne », assez kawaï comme on disait dans les 2010 et pourtant ça déborde, ça ne cesse pas de déborder même. Ça s’imbrique toujours dans

une sorte de rapport au présent, un rapport générationnel peut-être, mais dans ce rapport là il y a quelque chose d’un peu plus profond. Une profondeur de l’ordre d’un changement de paradigme et de génération, une fin réelle d’un rapport post-moderne aux choses, à la vie. La fin d’une posture éculée. Alors finalement quand on regarde entre des évocations de Pokémon et une forme de « pointe naïve », quelque chose se joue d’important, et ce quelque chose d’important n’est rien de moins qu’une nouvelle époque, ou en tout cas possiblement un nouveau rapport sensible à ce qui fait être le monde de cette manière-là.

Aurèle Nourrisson, 2018