Chipie comme chiffon

Thomas Havet2022

Chipie comme chiffon par Thomas Havet, 2022

Que voilà là ?! un herbier, des friandises, des gourmandises, un inventaire, un bestiaire, des portraits, comme un chapelet ; des scénarii, une série, des personnages, un peu de maquillage, des joujoux, un bijou, des bons mots, un album photo, des souvenirs, quelques plaisirs ; le carnaval, un joli bal, des figures, quelques murmures, des calories, oh petite chipie !

Bim Bam Boum, tintamarre et bout de ficelle, mangez moi qu’elles disent toutes. Vilaines pâtisseries que vous êtes. Chacun, chacune, rivalisent d’atours - gouache ou pastel - ce sont bien deux petites joues rouges qui s’illuminent. Oh qu’il aurait été trop facile de n’y voir qu’une douce naïveté. Que ne la voilà pas enrobée de poils, de plumes et de sucre glace.

Affreuses et terri fiantes, sâles bestioles que vous êtes. Elles luisent et appellent nos regards, mais qui regarde qui ? Mais qui regarde quoi ? À n’en plus savoir, telles ces déroutantes plantes carnivores qui nous auront piégées. Bientôt la chipie en aura jusqu’au coin des lèvres. Derrière la vitre du comptoir, crème, crème et zygomatique, ça roule, ça maracasse, toutes et tous prêts à se mettre en rang.

De Florent Dubois, on a dit (un peu) qu’il était passionnée de masques et de farandoles, (beaucoup) qu’il était luron et touche à tout (et pas assez) qu’il avaitla gourmandise généreuse, la folie pâtissière - toute son armada de créatures s’en pourlèche les babines. À feuilleter les pages de ce bel ouvrage… À peine le temps de faire connaissance avec ces joyeux caractères qui sous les traits malicieux des crayons de couleur de l’artiste semblent déjà s’échapper des pages, s’évader vers d’autres imaginaires. On les entendrait chanter, piailler, à ce qu’on les dévore. Et ça fait pow, blop, wizz !

A-t-on peut-être déjà osé parler de cette mélancolie amer, de cette tristesse sucrée qui se cache aussi derrière cette farandole de petits monstes aux yeux affables : comme des billes rondes et noir et ce qu’il faut de petites lueurs dans les mirettes, à l’oeil mouillé, ému dans la brumaille. Sont-ils, sont-elles les compagnons de route de l’artiste, ces enfants perdus à lui, ses ami.e.s imaginaires ? C’est à cet instant, équilibristes sur le fil des émotions que Florent Dubois et toutes ses chipies nous tendent un miroir. Miroir de festins passés, de souvenirs à la gorge serrée, de regards embrumés, de joie de vivre partie en fumée. “Oh tristesse, je suis ta copine”. 1

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Tous ces regards comme ces souvenirs, toutes ces émotions comme ces gourmandises, toutes et tous à enfiler sur le fil de l’imagination, telles les perles d’un collier - d’un collier de bonbons pardi ! Souvenir de la boulangerie de l’enfance, de ces croquants de sucre qui disparaissent jusqu’à en dévoiler l’élastique de coton, le rose, le bleu, le jaune, le violet, un à un ou tous en même temps. Les effeuiller comme un chapelet.

Rose, rose pastel, rose séché, rose suranné, rose des pochettes en papier, rose des buvards d’écolier, rose des bonbons en collier, rose des cerisiers. Une pieuvre ou un fantôme, juste un contour au trait. Et contour bien mal fermé. Ici on peut y rentrer, sous le tissu s’y glisser. Roudoudou ou petit dynosaure, petit oeil noir rond comme un galet nous regarde et on plonge : petit orifice sournois ou porte d’entrée.

Bleu, bleu pastel, bleu séché, bleu suranné, bleu des pochettes en papier, bleu des buvards d’écolier, bleu des bonbons en collier, bleu des jeans délavés. Une forme blanche que partiellement délimitée et tout autour comme des aplats tout mélangés. Ici et là, un peu fardée de rose et de violet. Au fond elle semble toute écrasée. L’aurait-on déjà croquée ?

Rose, rose pastel, rose séché, rose suranné, rose des pochettes en papier, rose des buvards d’écolier, rose des bonbons en collier, rose des guimauves. Un vase ou une amphore, c’est une céramique qui semble dessinée. Les pommettes gonflées, les yeux exorbités, elle semble s’agiter. De sa bouche pulpeuse de rose glossy elle semble nous exhorter, nous ordonner de la suivre dans le charivari qui s’annonçait. Le fushia a viré à la griotte.

Jaune, jaune pastel, jaune séché, jaune suranné, jaune des pochettes en papier, jaune des buvards d’écolier, jaune des bonbons en collier, jaune des pétales fanés. Une petite tête de chou, à la crème bien fourrée, une jolie petite peau toute bien tachetée. Un peu de rose, un peu de bleu qui colorent ces grands yeux, grands comme des oeufs. Et sur la tête, petite feuille des bois comme un petit supplément en pâte d’amande.

Rose, rose pastel, rose séché, rose suranné, rose des pochettes en papier, rose des buvards d’écolier, rose des bonbons en collier, rose des paréos en été. Sur l’aplat de rose insolent on perçoit les traces d’un tacheté subtil. Le petit ours triste nous appelle d’un coup de patte ; le signe d’un bonjour ou d’un adieu, comme cette enfance qu’on croyait perdue à jamais.

Violet, violet pastel, violet séché, violet suranné, violet des pochettes en papier, violet des buvards d’écolier, violet des bonbons en collier, violet d’une époque dépassée. Le petit chien ? Le petit chat ? Coquine chimère. Qu’elle est si triste à nous regarder, mélancolique peut-être. Ces deux petits yeux ronds comme des galots qui rebondissent sur sa petite truffe bien affirmée. D’un camaïeu de verts il est tout pouponné. Ne dit-on pas des yeux de chat ou l’air d’un chien battu ?

Jaune, jaune pastel, jaune séché, jaune surranné, jaune des pochettes en papier, jaune des buvards d’écolier, jaune des bonbons en collier, jaune du mimosa enchanté. Engourdi, il semble éventré, ou à la page bien assorti. Oh qu’il n’est plus à une coquetterie près. Pourtant il a cet air des sapins en janvier, des peluches abandonnées, cette tristesse des jouets remplacés, des pâtisseries isolées. C’est la déprime qu’il l’a envahie, ce cafard teinté de regrets.

Violet, violet pastel, violet séché, violet suranné, violet des pochettes en papier, violet des buvards d’écolier, violet des bonbons en collier, violet des dragées. Dans ce paysage violacé, il semble arrêté, aux aguets. Des airs de petits chiens chasseurs à n’en pas douter, pourtant ces deux petits judas semblent apeurés, que se passe-t-il de l’autre côté du buisson ? On ne le saura jamais.

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Comme des croquis sur un cahier, comme des bibelots sur une étagère, comme des pâtisseries sur un comptoir. Florent Dubois enfile-t-il ici le costume de l’accessoiriste, du conteur ou du pâtissier. Il n’est point histoire que de traits, que d’aplats et de lignes non fermées. Ici, il les anime, elles, ces petites créatures aux yeux ronds, lui, Florent Dubois, artiste diplômé des Beaux-Arts de Lyon qui oscille entre la céramique et le dessin, la peinture et le textile, quelle frénésie, quel fantaisiste ! Alors ici, entre les pages, cette petite population douce et gourmande parle de caractères et d’émotions, sûrement aussi de sucre glace.

Et ici et là, quelques notes sur papier tout juste griffonnées, à peine glissées. À l’écriture manuscrite sur le papier déchiré, une autre narration semble se tramer. Dans cette effusion colorée, où les techniques sont autant de cordes à l’arc de l’artiste, où le dessin aux crayons de couleur et la peinture à l’huile semblent fusionner, des mots éclatent ; des mots d’amitiés rompues, de moqueries mutines, de vilaineries acerbes, de fantasmes populaires, de cris de joie et de monstruosités. Sont-ils les perfidies de cette cour espiègle qui résonnent face au mutisme dessiné ou les didascalies de notre artiste fantasque, narrateur omniscient, jouant de nos émotions comme un enfant qui chamboulerait son coffre à jouets ?

Ou les éléments de la recette ?

Le Kougloff comme la Bavaroise, le biscuit comme la mousse, le Chipster comme le caramel, le sucre filé comme la coupe, le Sundae comme l’ananas, le Banana Split comme la Belle-Hélène, le Magnolia comme l’Aglaé, l’Empereur comme la Crépinette, le Punch comme le Profondo Rosso, la Duchesse comme la mangue, le Boudin blanc comme la Forêt-Noire, les Profiteroles comma le pâte à choux, le cornet comme le Curly, le Harlem comme la nougatine, la génoise mousseline comme le cacao, la gelée comme le Sabayon, le coulis comme la crème fouettée, la chantilly comme le petit four, la fraise basilic comme la ganache, l’Ananas Borgne comme la Violetta, le Sultan comme la meringue ordinaire, la meringue italienne comme le Caprice, la Caline comme le Calypso, la Rosine comme le Fondant, le fromage de tête, la Tulipe comme le Roméo, le bâtonnet comme les Marrons glacés, l’Agatha comme l’Orphée, le Rocker comme le praliné, le Sultana comme l’Orangette, la griotte comme le cassis, la Prunéline comme le Tilbury, le hérisson comme la Muscardine, le Grand Marnier comme la liqueur, la Galantine comme le Sans souci, la noisette comme le nougat, le Godiveau comme le Choux-choux, le Gianduya comme la Cocotte, le Craquelin comme le Parfait, le Soda comme la Régence, le Délectable comme le caramel, la Gondole comme le cassis, la Praline comme le Donuts, le Framboisier comme l’Onion jaune, la Brioche comme la Charlotte verte, le Clafoutis comme la Charlotte jaune, le Pim’s comme la Religieuse, le Cookie comme le Cannoli, la Tarte aux prunes comme la Tartes aux pruneaux, l’Éclair pistache comme l’Éclair vanille, l’Éclair café comme l’Éclair chocolat, le Suspiria comme le Craquelin, la Chouquette comme le Crumble, le Crumpet comme le Merveilleux, le Guardian comme la Navette, le Muffin comme la Panna Cotta, le Financier comme le Croissant, le Panettone comme …

Tintamare et mascarades, sous les atours rablaisien, gourmand jusqu’à plus faim, d’une folie carnavalesque, se déploient le flip-flap des dessins : tout et tout simplement sur papier. Il les a convoquées, assemblées, rythmées, ses petites choses venues de son imaginaire bercé d’une pop adolescente qui traverse les époques de l’enfance à la maturité. Alors ici, il a réglé la partition comme une comptine enfantine. Ça percussionne, ça claironne, ça tambourine à la mélancolique cavalcade. Florent Dubois comme un chef d’orchestre ou un maître pâtissier. Alors que voilà là ?! Petites histoires à nos oreilles, ça murmure et ça cancane ; et de la pâte d’amande à la commissure des lèvres. Qui sont-ils alors ces énergumènes cachés sous des costumes ?

1 Sadness is a blessing, Lykke Li, 2011

Thomas Havet, 2022